SANSKRITES (LANGUE ET LITTÉRATURE)

SANSKRITES (LANGUE ET LITTÉRATURE)
SANSKRITES (LANGUE ET LITTÉRATURE)

Le sanskrit est une des grandes langues de civilisation de l’Asie. Son origine est indo-européenne. Le premier monument littéraire en cette langue qui nous soit parvenu est le ブgveda , anthologie d’hymnes religieux composés dans le nord-ouest de l’Inde au milieu du IIe millénaire avant J.-C. Ensuite, la langue a évolué, en même temps que son aire d’utilisation s’est étendue vers le sud-est et a progressivement couvert le bassin indo-gangétique. Utilisée, analysée et conservée par une classe de lettrés professionnels appelés pandits, elle a eu ses structures définitivement fixées aux environs de l’ère chrétienne. Elle a été dès lors appelée «sanskrit» qui signifie «construit [selon les règles de la grammaire]». Elle a été utilisée sans interruption jusqu’à nos jours comme le principal véhicule de toutes les activités intellectuelles: grammaire, logique, exégèse, sciences, techniques, droit, rituel, philosophie, etc., et belles-lettres. Elle a été la langue de relations entre les différentes régions de l’Inde et même de relations internationales en Asie, vers la Chine par l’Asie centrale et dans tout le Sud-Est asiatique. La longévité du sanskrit, l’immensité de son aire d’utilisation, le monopole dont il a joui dans l’expression de tous les genres du savoir humain, la diversité des contacts et des influences qu’il a pu avoir et recevoir font de lui une langue au vocabulaire exceptionnellement riche et de sa littérature la plus abondante et diversifiée du monde.

1. La langue

Historique

La préhistoire du sanskrit le fait apparaître comme le descendant d’une protolangue dite indo-européenne que la grammaire comparée reconstruit à partir de nombreuses concordances de structure linguistique entre plusieurs familles de langues attestées de l’Europe à l’Inde. Cette parenté sert aussi de base à l’hypothèse d’un habitat commun des locuteurs de la langue originale, puis d’une dislocation et de migrations dans les territoires où les langues filles sont historiquement attestées. Cette hypothèse donne au rameau indien une origine extérieure à l’Inde, l’origine le plus souvent postulée étant l’est de l’Europe ou la Russie méridionale. Sur le chemin de l’Inde il y aurait eu une étape indo-iranienne supposée à partir de la ressemblance profonde que l’on observe entre avestique et védique. Le nom rya (sanskrit), airya , ariya (iranien) que se donnent en commun ces deux groupes a fait adopter le terme aryen pour désigner leur communauté. On a choisi le terme indo-aryen pour désigner le rameau linguistique implanté dans l’Inde.

Avec l’indo-aryen on entre dans l’histoire, parce qu’on possède des attestations de cette langue. La première a l’intérêt d’être datée. Il s’agit de documents du XIVe siècle avant J.-C. trouvés en Asie antérieure, à savoir un traité d’hippologie en hittite où l’on reconnaît des noms de nombre indo-aryens composés avec le mot vartanna , indo-aryen aussi, désignant des nombres de tours de piste à faire faire aux chevaux lors du dressage; d’autre part, dans un traité entre un roi hittite et un roi mitannien, une liste de dieux invoqués comme garants et qui appartiennent au panthéon védique ancien. Ces documents ne nous donnent pas d’explication sur la présence de mots indo-aryens en Asie antérieure. Ils sont insuffisants pour que l’on puisse en tirer avec quelque vraisemblance des conclusions relatives à l’hypothèse de l’installation des Aryens dans l’Inde. Mais ils apportent à l’histoire un point certain, à savoir que la langue indo-aryenne existait au XIVe siècle avant J.-C. L’autre attestation antique de cette langue est le ブgveda . Dans ce cas, il s’agit d’un monument littéraire d’une très grande importance. C’est une anthologie d’hymnes religieux qui peuvent être d’origines et d’époques diverses. On ignore les dates de composition, on ignore même la date de la fixation de l’anthologie. On peut faire tout au plus une chronologie relative d’après des traits de langue. En fonction du repère fourni par les documents d’Asie antérieure, on situe le noyau le plus ancien du ブgveda (livres II à VII) au milieu du IIe millénaire avant J.-C.

L’univers géographique des auteurs des hymnes les plus anciens est limité au nord-ouest de l’Inde et défini par la vallée de l’Indus et de ses affluents dont les plus importants sont sur la rive gauche. Il n’y a aucune conscience d’une origine étrangère, ni aucune connaissance du monde extérieur qui transparaisse dans ces textes. Et dans toute la tradition indienne il n’y a jamais eu de conscience d’une parenté linguistique extérieure; l’indo-européen est une découverte du XIXe siècle. Après le ブgveda , l’indo-aryen nous est attesté dans d’autres monuments littéraires, sa ュhit , br hma ユa , upani ルad , apparus sur un long espace de temps. Cet ensemble qu’on appelle védique et dans lequel on peut suivre une évolution de la langue s’étale sur un millénaire, du milieu du IIe au milieu du Ier avant J.-C. On voit durant cette période les connaissances géographiques s’étendre vers l’est du bassin indo-gangétique. Cela montre l’expansion de l’indo-aryen dans le nord de l’Inde. Cette expansion se prolonge sur le Deccan au sud jusqu’à l’établissement d’une frontière avec le dravidien au centre de la péninsule. L’indo-aryen ancien représenté par les textes védiques évoluera naturellement en se diversifiant. On appelle pr krits les différents rameaux intermédiaires qui ont constitué des unités dialectales au Moyen Âge, en attendant la formation des langues modernes des diverses provinces de l’Inde. Les attestations de pr krits datées de façon sûre les plus anciennes que nous connaissions sont les inscriptions du roi Asoka au IIIe siècle avant J.-C.

La littérature védique que nous possédons est entièrement de caractère poétique et religieux. C’est donc une forme savante et technique de la langue qui est attestée par elle. Elle nous fait connaître dans ses auteurs des techniciens d’activités religieuses et intellectuelles diverses. Elle atteste depuis les textes les plus anciens l’existence de confréries de poètes qui font leur profession de créer en matière de langage et de littérature, qui s’entraident ou rivalisent entre eux, font de véritables joutes poétiques et qui surtout ont une très haute idée de la valeur et de l’efficacité de la parole.

On possède aussi un document d’une grande valeur sur la langue parlée, dans la description qu’en a faite le grammairien P ユini. Originaire du nord-ouest de l’Inde, P ユini, que l’on situe sans aucune certitude au VIe ou au Ve siècle avant J.-C., représente un état de la langue proche de ce que nous trouvons dans la partie la plus récente de la littérature védique. Sa langue est intermédiaire entre le védique et le sanskrit classique. Le caractère ancien le plus remarquable en est l’accentuation: deux tons musicaux avec un intermédiaire et deux tons accessoires jouent un grand rôle dans la morphologie; l’accent a à cette époque un rôle sémantique, deux mots de même forme mais ayant un accent différent pouvant différer de sens. P ユini traite la langue qu’il parle comme étant le langage en général. Il ne manifeste aucune conscience de l’existence d’autres langues. D’autre part, sa description est purement synchronique. Il signale des formes dont il dit qu’elles n’appartiennent pas à la langue parlée (bh ル ) mais aux versets (chandas ) du ブgveda , etc. Ce sont des traits archaïques, mais qu’il ne présente pas comme tels. Il parlait donc à son époque une langue qui avait évolué et il utilisait des textes plus anciens dont la transmission, probablement orale, s’était faite jusqu’à lui sans modification et sans mise à jour de la langue.

Le grammairien Patañjali (vers 150 av. J.-C.?), commentateur de P ユini, sans doute postérieur de plusieurs siècles, décrit sensiblement la même langue. C’est toujours pour lui une langue parlée, vivante. Il semble utiliser encore l’accent de hauteur: la grammaire de P ユini et le rôle des grammairiens avaient déjà assez d’influence pour freiner les mécanismes d’évolution naturelle. Mais la conscience de Patañjali s’élargit. Il cite des formes dialectales, parle de corruptions. Il définit une classe de lettrés ( ごi ルレa ) qui peut être prise pour norme du langage et dont il dit qu’elle n’a pas besoin de la grammaire pour apprendre la langue. Cela montre qu’encore à cette époque le sanskrit était une langue vivante, que ce pouvait être la langue maternelle, seule connue, d’une partie de la population. Patañjali indique l’aire d’usage du sanskrit comme étant l’ ry varta, c’est-à-dire la plaine indo-gangétique. Il n’utilise pas encore le nom de sanskrit pour désigner la langue qu’il parle. Il n’a pas de nom particulier pour elle. C’est, pour lui comme pour P ユini, le langage (v c , ごabda , etc.). Il le considère comme éternel, existant depuis toujours, comme une donnée que le grammairien et le ごi ルレa reçoivent et qu’ils ont le devoir de préserver des corruptions. Il lui attribue une valeur culturelle et une valeur salvatrice.

Ce n’est que plusieurs siècles après l’ère chrétienne que l’on voit le nom de «sa ュsk リta» devenir courant pour désigner la langue. Le premier sens du mot est «construit, préparé»; il s’emploie par exemple pour un mets cuisiné, préparé pour la consommation selon une recette. Le langage est dit sa ュsk リta quand il est préparé pour l’emploi par les règles de la grammaire. La dénomination donnée à cette langue reflète la situation qu’elle a connue à partir du début de l’ère chrétienne où, n’étant plus langue maternelle, première ou unique langue apprise, elle était acquise comme seconde langue dans une famille de lettrés ou dans une école, où elle dépendait entièrement de la référence au corpus de règles grammaticales. L’étude de la littérature védique et ancienne faisait partie de la même éducation. La dénomination de sanskrit a ainsi été donnée à la langue dont P ユini et Patañjali ont fixé les règles et à la langue plus archaïque des textes védiques. La désignation de sanskrit classique est moderne et sert à distinguer les deux étapes de l’histoire, celle où il a évolué naturellement pendant un millénaire, et celle où il a été utilisé par des lettrés professionnels sous une forme fixée par les grammairiens et l’enseignement.

Structure du sanskrit classique

Que ce soit dans la phonétique, la morphologie ou la syntaxe, les structures de base du sanskrit sont indo-européennes. Le sanskrit présente assez peu d’innovations totales, mais il a souvent accentué, développé des traits qui, au contraire, ont tendu à s’effacer dans les langues d’autres régions.

La phonétique est celle de l’indo-européen avec quelques innovations. Le sanskrit garde l’opposition sourde et sonore, simple et aspirée pour les occlusives; il garde les classes de labiales et dentales, innove par deux classes de dorsales vélaires et palatales et ajoute une cinquième classe, les rétroflexes, l’opposition dentale-rétroflexe étant un trait spécifiquement indien. Il garde l’opposition entre voyelles brèves et longues, mais il innove par l’extension du timbre a sur le domaine de l’indo-européen a e o ; les timbres e o du sanskrit classique sont le résultat de la fusion des éléments de deux diphtongues. Les voyelles i u リ ヤ sont la forme vocalique de sonantes indo-européennes.

Les phénomènes de sa ュdhi , modifications phonétiques à la rencontre de mots ou de morphèmes, jouent un très grand rôle en sanskrit, comme d’ailleurs en dravidien. Il y a deux systèmes de règles, l’un applicable à la rencontre de mots pleins, de thèmes dans un composé, de bases et de suffixes à initiale consonantique, l’autre applicable à la rencontre de bases et de suffixes à initiale vocalique ou y . Le second système est d’application nécessaire. Le premier est nécessaire à l’intérieur du mot et du composé, mais optionnel entre mots séparés. Dans ce dernier cas, il dépend de la continuité de l’énonciation qui elle-même est soumise au désir du locuteur. Il joue un grand rôle en poésie, son application étant de rigueur dans le vers. Le ton a cessé d’être une réalité après l’époque de Patañjali. Le souvenir s’en est gardé pour un certain nombre de textes védiques qui sont l’objet de récitations faites dans une intention religieuse, à savoir les sa ュhit , certains br hma ユa , la Taittir 稜ya-Upani ルad , etc.

La flexion nominale comporte sept cas, le vocatif étant tenu pour une variante du nominatif: les cas du latin et en plus l’instrumental et le locatif. Le duel, à côté du singulier et du pluriel, est d’emploi nécessaire. Les trois genres, masculin, féminin, neutre, sont représentés. La conjugaison est très riche de formes: dix classes de verbes distinguées par la présence ou l’absence d’une voyelle thématique a , d’un suffixe ou infixe comportant une nasale, au présent; une distinction est faite au niveau de la désinence entre actif et moyen. On trouve plusieurs séries de désinences: pour le présent et le futur, pour l’imparfait et l’aoriste, pour le parfait; optatif et conditionnel sont d’emploi courant; mais le subjonctif qui existe en védique a disparu en classique. Les divers temps se groupent dans trois systèmes principaux de conjugaison: le système du présent qui comprend aussi un imparfait et dont les suffixes caractéristiques définissent les dix classes de verbes; le système du parfait caractérisé par le redoublement de la racine; le système de l’aoriste caractérisé par des suffixes et par un augment. Le trait le plus original de la conjugaison sanskrite est le développement de conjugaisons dérivées: un passif caractérisé par un suffixe ya ; un désidératif notant que l’agent désire faire l’action, avec suffixe sa et redoublement; un intensif qui note que l’agent accomplit l’action avec intensité, avec suffixe ya et redoublement; un causatif notant que l’agent incite un autre à l’action, avec suffixe i/ay . Les grammairiens indiens ont établi une liste de quelque deux mille racines, bases de cette conjugaison et de la dérivation. Mais il y a aussi un développement remarquable de l’usage des dénominatifs. En principe tout nom en sanskrit peut être la base d’un verbe, par l’intermédiaire de divers suffixes.

La richesse morphologique du sanskrit contraste avec la simplicité de la syntaxe. Les rapports des mots dans la phrase reposent principalement sur les désinences des cas. La subordination des propositions, l’usage des prépositions, importants en védique, deviennent secondaires en classique. L’usage même de la conjugaison tend à diminuer au profit de la phrase nominale commandée par un adjectif verbal en -ta avec l’aide d’absolutifs en -tv . Cette pauvreté des outils syntaxiques est compensée par le développement de l’usage de la composition et de la dérivation secondaire, structures qui ont tendance à s’effacer dans les langues indo-aryennes dérivées du sanskrit et dans les autres langues indo-européennes. Il y a quatre structures principales de composés: un composé copulatif où les thèmes nus des mots sont juxtaposés et qui exprime la coordination, par exemple «dh ma-jyoti ム-salila-marut ュ sa ュnip ta ム megha ム (le nuage, agrégat de vapeur-éclat-eau-vent)»; un composé déterminatif où un rapport syntaxique est sousentendu entre les thèmes nus des mots: «candrik -dhauta (blanchi par le clair de lune)», «hara- ごiras (la tête du [dieu] Hara)»; un composé appositionnel où le premier membre est un qualifiant du second, comme «b hya-udy na (jardin extérieur)»; un composé attributif où les membres en rapport de qualifiant à qualifié sont reliés à un mot extérieur par une relation syntaxique sous-entendue, par exemple «dhauta-harmy ([ville d’Alak ] dont les maisons sont blanchies)». Un composé a structurellement deux membres, hors du cas du composé copulatif. Mais il peut lui-même former un nouveau composé avec un autre mot, et cela de façon indéfinie, de telle sorte que l’on peut former de très longs composés qui, par les relations syntaxiques sous-entendues, sont l’équivalent d’une proposition entière: ainsi dans «b hya-udy na-sthita-hara- ごiras-candrik -dhauta-harmy ([ville] dont les maisons sont blanchies par le clair de lune venant de la tête de Hara qui se tient dans les jardins extérieurs)». La dérivation secondaire joue le même rôle, fournissant un syntagme plus bref que toute périphrase. On a en sanskrit une possibilité illimitée de formation de dérivés, par exemple avec des suffixes exprimant la possession, l’être (cas des noms abstraits), etc.: arthabesoin») avec le suffixe in forme arthin («qui a un besoin, solliciteur»); arthin avec le suffixe tva forme arthitva («le fait d’être solliciteur»).

La compétence illimitée des règles de formation nominale est une des raisons du développement exceptionnel du vocabulaire du sanskrit. C’est un caractère important de cette langue que l’immensité de son vocabulaire. On ne peut actuellement en citer le nombre de mots. On peut se faire une idée de la dimension de ce vocabulaire en voyant que le premier dictionnaire sanskrit-anglais du pionnier de l’indianisme que fut Wilson, publié en 1819 (2e éd. 1832), contient déjà 45 000 mots, et qu’un projet inauguré en 1939 de rédaction d’un dictionnaire répertoriant tous les mots simples et composés de deux ou trois termes au maximum, dépouillant seulement quelque deux mille textes de l’époque védique au XVIIIe siècle, non seulement n’a pu être achevé en un demi-siècle, mais laisse prévoir qu’il dépassera 100 000 pages grand format, à deux colonnes, s’il est mené à terme un jour.

L’utilisateur du sanskrit classique

Depuis l’époque védique jusqu’à nos jours, il y a toujours eu en Inde des professionnels de l’activité intellectuelle et de la création littéraire. Le terme «pandit» est celui qui les désigne le plus couramment, surtout de nos jours. Le personnage du pandit a son prototype dans le barde védique. Patañjali en a fixé le modèle aux environs de l’ère chrétienne. Il se définit d’abord par sa formation. Celle-ci a comporté, depuis l’Antiquité, non pas seulement l’acquisition de la langue, mais aussi un entraînement intensif à l’activité intellectuelle par l’étude de trois disciplines appelées ご stra : la grammaire, la logique, l’exégèse. Ces trois ご stra sont de caractère parfaitement rationnel. La grammaire est une analyse scientifique du langage et utilise pour l’exposé une métalangue remarquablement formalisée. La logique est pour partie une technique d’argumentation et de persuasion, donc plutôt une psychologie du débat, et pour partie une épistémologie, une investigation des moyens de connaissance droite, une analyse du fonctionnement de la pensée correcte presque entièrement dégagée de la psychologie. L’exégèse est l’analyse des procédés d’interprétation des textes prescriptifs de rituel et de droit. On réfère souvent à ces trois disciplines en disant qu’elles sont les sciences du mot (grammaire), de la phrase (exégèse) et du moyen de connaissance droite (logique).

La méthode traditionnelle d’enseignement est fondée sur une conception psychologique très ancienne en Inde. Toute expérience laisse une trace dans le psychisme. Cette trace est appelée v san , littéralement «parfum», parce qu’elle est comme le parfum laissé dans une boîte par une substance. Les traces des expériences passées constituent un inconscient, sont susceptibles de s’organiser et de conditionner l’activité psychique future. Cette organisation de l’inconscient est appelée sa ュsk ra ; et l’on reconnaît ici un dérivé apparenté au nom du sanskrit. Le sa ュsk ra est une construction de la personnalité. S’ajoute l’idée que l’on peut agir sur l’inconscient, c’est-à-dire annuler des constructions mauvaises en les remplaçant par de nouveaux sa ュsk ra , de nouvelles constructions de traces d’expériences volontaires, choisies, réglées et intensives, dont l’application dans l’enseignement est évidente. Le but visé étant la maîtrise de la langue, l’érudition, l’aptitude au raisonnement logique, on fait un apprêt du psychisme de l’étudiant en remplissant sa mémoire du vocabulaire, de textes entiers, et en entraînant son esprit à des opérations de raisonnement, d’analyse, d’investigation, d’imagination même, enfin en développant ses capacités d’attention et de maîtrise de soi. Le pandit se définit ainsi par un sa ュsk ra intellectuel. De même que la langue est construite selon un code de règles, de même l’intellect est construit selon des cadres donnés de raisonnement. Le gain de cette formation est la maîtrise du langage et celle de la pensée. Il existe encore de nos jours des écoles traditionnelles de sanskrit. La formation de base y est d’une douzaine d’années. Elle comporte la mémorisation de nombreux textes de base des trois disciplines fondamentales, textes de forme condensée et mnémotechnique, et en plus une ou plusieurs spécialisations dans un domaine quelconque de l’immense littérature sanskrite. Par cette formation le pandit possède en réserve dans sa mémoire un trésor de connaissances où il peut puiser à toute occasion. Le pandit est souvent une bibliothèque ambulante et parlante chez qui la moindre question déclenche une chaîne de citations.

Un autre trait, sur lequel on ne saurait trop insister, est la prédominance de l’activité orale chez le pandit. L’écriture a existé assez tôt dans l’Inde, les manuscrits qui nous sont parvenus sont abondants. Mais ils ne sont pas dus aux pandits mêmes. La fonction de scribe est distincte de celle de pandit, le scribe n’étant pas toujours pandit ou étant de niveau inférieur. Le pandit se repose sur sa mémoire, attache un point d’honneur à ne pas se servir du secours de l’écrit. Un dicton qui énumère les propriétés du mauvais maître compte celui qui se sert d’un livre pour enseigner. Il est remarquable que la formalisation très poussée de la grammaire de P ユini ne recourt à aucun procédé visuel d’abréviation et de présentation. Elle utilise uniquement des moyens oraux, s’adresse uniquement à l’oreille. Ses sigles sont des phonèmes, des accents de hauteur, etc. Le goût de la parole s’incarne dans beaucoup d’habitudes du pandit, la récitation chantée des vers, par exemple. Alors que souvent le lettré chinois était aussi peintre, le lettré indien était souvent musicien en même temps qu’érudit.

Les fonctions du pandit ont été très diverses au cours de l’histoire. Tout d’abord il montrait ses talents dans des débats d’idées, des joutes littéraires. Dans le domaine de la création littéraire, sa culture lui était un outil dont il ne manquait pas d’user à son gré. Sa culture était utile aussi dans la société. Elle lui donnait accès à l’administration. Les princes et notables comptaient toujours des pandits dans leur entourage pour leur conseil politique et juridique. La littérature juridique ayant toujours été principalement en sanskrit, les pandits ont joué un grand rôle dans la justice. Dans la vie religieuse, leur rôle a toujours été de premier plan. Ils sont les gardiens des textes canoniques. Ce sont eux qui sont consultés pour toute question de rituel, public ou privé. Ils sont les créateurs des dogmes, des systèmes théologiques et métaphysiques. Ils sont les propagateurs de la foi, la charge de la prédication leur incombant. Ils sont conseillers en matière de langage, non seulement pour le sanskrit, mais aussi pour les langues indo-aryennes ou autres qui empruntent du vocabulaire au sanskrit. Ils sont enfin les détenteurs de l’information scientifique et technique, en astronomie, médecine, architecture, etc. Ils ont évidemment le monopole de l’enseignement du sanskrit.

Les pandits ont bénéficié généralement d’une protection royale. Leur subsistance était assurée par le séjour dans une cour royale, ou plus souvent par la jouissance du revenu de terres d’un village où ils résidaient et qu’ils avaient reçues d’une faveur royale. Les donations de terres à des br hmanes, à fin de réciter le veda , d’enseigner, etc., sont un leitmotiv de l’épigraphie indienne. Et ainsi c’est dans des villages qu’a dû se créer tout ce qu’il y a eu de plus important dans le domaine intellectuel en Inde. Des pandits ont été souvent appelés du nord de l’Inde dans le sud, et même à l’extérieur. Des inscriptions sanskrites du Cambodge rendent hommage à des pandits qui sont venus diriger l’installation de divinités, c’est-à-dire diriger des fondations et édifications de temples khmers. Des pandits indiens sont connus comme étant allés en Chine porter leurs textes religieux ou scientifiques et les traduire. Ils ont été ainsi les artisans de l’expansion de la religion et de la civilisation indiennes.

Le rôle et l’expansion du sanskrit classique

On voit quel a pu être le rôle du sanskrit dans la bouche et dans l’esprit des pandits. Aux alentours de l’ère chrétienne, la langue des inscriptions, c’est-à-dire des édits royaux, et divers documents d’administration civile ou religieuse, était des dialectes pr krits. Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, on voit le sanskrit classique, celui qui est codifié par la grammaire, celui des pandits, se répandre et progressivement remplacer les pr krits. On voit d’abord une langue qui contient beaucoup de pr krit à côté de mots et d’expressions sanskrites, jusqu’à ce que le sanskrit prédomine et que paraisse ce qu’on a appelé de nos jours le «sanskrit hybride», un sanskrit gardant des mots et des expressions pr krites que l’usage ou la convenance devaient imposer. La même évolution s’est faite dans la littérature bouddhique. La rédaction la plus ancienne des livres bouddhiques, de ce qui était censé être la parole du Bouddha, est en m gadh 稜 , plus tard appelée p li . On connaît des rédactions de textes canoniques en divers autres pr krits. On connaît enfin des rédactions en sanskrit. Ce sont les plus tardives. Et une littérature bouddhique en sanskrit hybride a vu le jour avant de laisser la place au sanskrit pur. On voit donc comment s’est déroulé le phénomène de l’expansion du sanskrit classique. Il s’est formé dans un milieu brahmanique tel que celui de Patañjali. Il s’est révélé utile comme langue de liaison, au milieu de langues et dialectes divers, parce qu’il était mieux fixé et bien enseigné, parce qu’il était la langue de pandits dont les services techniques étaient recherchés. Il s’est dès lors répandu dans d’autres milieux, a été affecté à de nouvelles utilisations, des expressions pr krites étant gardées au début, parce qu’elles étaient familières dans les autres milieux, consacrées dans les autres usages. Dans le sud de l’Inde, le sanskrit n’a pas totalement remplacé les langues locales; il a remplacé les pr krits et voisiné avec le tamoul, le kanna ボa... Il s’est répandu hors de l’Inde, dans toute l’Asie au nord et à l’est du sous-continent. On a trouvé des textes bouddhiques et aussi scientifiques et techniques en Asie centrale. Les grandes entreprises de traduction en tibétain et en chinois de la littérature bouddhique sanskrite ont sans doute mis fin à l’usage du sanskrit dans ces divers pays, si bien qu’il y a beaucoup de textes sanskrits qui ne nous sont pas parvenus, mais qui nous sont connus par des traductions. La méthode de traduction étant très littérale, un mot-à-mot dont la clé nous est partiellement donnée par des dictionnaires anciens permet de reconstituer un texte sanskrit à partir d’une traduction tibétaine ou chinoise. Du côté du Sud-Est asiatique l’usage du sanskrit s’est maintenu de façon plus durable. Au Cambodge, à Java, jusqu’à Bornéo, des inscriptions sanskrites voisinent avec le khmer, etc., comme dans le sud de l’Inde. On note de plus l’emprunt par de nombreuses langues du Sud-Est asiatique, khmer, javanais, malais, etc., d’un grand nombre de mots sanskrits. C’est généralement un emprunt direct au sanskrit classique et non aux pr krits. Or cette influence linguistique ne coïncide pas avec une influence politique qui n’a jamais existé. On sait seulement que des pandits ont voyagé dans toute l’Asie et qu’il y a eu des relations commerciales importantes et continues: le sanskrit a bien été une koinê , une langue de relations internationales, même dans des domaines autres que religieux.

Le sanskrit a joué ce rôle pendant tout le Moyen Âge, jusqu’à l’époque de la domination moghole où il a été remplacé par le persan, lequel au XIXe siècle a laissé la place à l’anglais. Il a eu depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque moghole le monopole de l’expression des sciences et des techniques. Sous les Moghols, il a partagé cette fonction avec le persan et l’arabe. Au XIXe siècle, le monopole est passé à l’anglais. Aujourd’hui, le sanskrit garde entière sa fonction de véhicule de la religion hindoue et partage avec les langues régionales modernes, tamoul, hind 稜, etc., sa fonction de véhicule de la culture, de gardien de l’héritage du passé, de représentant de l’indianité. Enfin, un effort tout récent veut redonner au sanskrit le rôle qu’il a eu autrefois, en refaire une langue vivante de relations pour l’ensemble du pays, en l’adaptant aux préoccupations du monde moderne, en l’introduisant dans les médias, radio, presse, bande dessinée, etc., en lui créant à partir de ses propres possibilités grammaticales un nouveau vocabulaire scientifique, technique, politique, etc. Le sanskrit est aujourd’hui appris comme seconde langue dans les écoles, pratiqué et parlé par les pandits traditionnels. Une production littéraire sanskrite moderne est non négligeable, que ce soit dans les domaines traditionnels, comme dans de nouveaux domaines, roman, théâtre, poésie, essai, etc.

On a souvent comparé le sanskrit au latin. Les traits communs sont évidents et réels. Mais aussi les différences. La principale est l’idée que les pandits, et de façon plus générale les croyants, se faisaient et se font encore du sanskrit: une langue éternelle, existant depuis toujours, donc non créée par l’homme, utilisée par les dieux, qui a une vertu efficace dans la liturgie et une valeur salvatrice par l’usage que l’on en fait. Le rôle religieux du sanskrit ne vient pas seulement du fait qu’il est la langue de livres canoniques, mais de la croyance que la formule du rituel d’installation de la divinité dans le symbole matériel n’est efficace que si elle est en sanskrit. Une autre différence avec le latin est l’ampleur sans comparaison de l’expansion du sanskrit. Soutenu par une activité intellectuelle intense, il a été la langue de la littérature la plus abondante du monde.

2. La littérature

Le corpus des textes anciens

La littérature védique est un corpus de textes clos, reconnu comme faisant un ensemble par la tradition indienne qui lui a donné le nom générique de vedasavoir»). Veda désigne proprement les quatre textes les plus anciens, qui sont des collections d’hymnes aux dieux ( ブgveda ), de mélodies (S maveda ), de formules liturgiques (Yajurveda ), de formules magiques (Atharvaveda ). Ces textes de base sont accompagnés de commentaires et d’excursus de rituel, de mythologie, de spéculations théologiques et métaphysiques, appelés br hma ユa , ra ユyaka , upani ルad et s tra selon leur forme et leur objet. Ce dernier groupe de textes est de caractère très technique et est censé être un complément d’enseignement. C’est pourquoi le nom de veda est étendu à lui aussi. Les upani ルad par leur caractère philosophique sont considérées comme l’aboutissement de la pensée religieuse védique et ont reçu le nom de ved nta («fin du veda »). Les s tra , recueils de formules où la concision est de rigueur, sont des manuels de rituel, lequel est divisé en domestique (g リhya ), solennel ( ごrauta ) et juridique (dharma ), d’astronomie (jyauti ルa ), de phonétique ( ごik ル ), d’étymologie (nirukta ), de métrique (chandas ) et de grammaire (vy kara ユa , littéralement «analyse des mots»). On remarque la prédominance des disciplines relatives au langage. Des textes auxiliaires se joignent à ce corpus, tels que le 丹ulba-s tra , manuel de géométrie.

On ne sait pas dater avec certitude ces textes qui s’échelonnent peut-être sur un millénaire. On estime que l’ensemble était achevé vers le Ve siècle avant J.-C. La tradition indienne ultérieure l’a sacralisé. Elle a fait des noms d’auteurs qui lui étaient parvenus des êtres mythiques qui ne sont plus traités comme auteurs, mais comme ayant reçu une révélation. L’ensemble a reçu le nom de ごruti (littéralement «audition»). Il est opposé à la sm リti qui est un ensemble de textes dont on accepte qu’ils aient des auteurs humains et dont on reconnaît l’autorité en disant qu’ils sont fondés sur le veda ou éventuellement font connaître le contenu de parties perdues du veda ; sm リti signifie littéralement «ce qui rappelle le veda ». Ce corpus de sm リti comprend des textes exposant le dharma , c’est-à-dire le droit, les coutumes, les règles sociales, les devoirs religieux communs et privés.

Un troisième corpus de textes anciens, lui aussi quasi sacralisé, est constitué par les épopées: Mah bh rata («Le Grand Poème des descendants de Bharata») et R m ya ユa («Le Poème de R ma»). Leurs auteurs ont été placés au rang des sages mythiques, Vy sa pour le premier, V lm 稜ki pour le second. Leur rôle religieux est peut-être encore plus important que celui du veda , en raison de leur caractère moins technique, de leur appel à la dévotion plutôt qu’à la technique ritualistique, du fait aussi que leur contenu narratif se prête à toutes les formes d’art, représentations plastiques, littérature, théâtre, chant, danse, etc.

Avec ces trois ensembles, les bases de la littérature sanskrite sont solidement établies, comme celles de la religion, de la science et de l’art en Inde. Ils forment déjà un corpus de textes plus considérable que les littératures grecque et latine réunies de la même époque, plus considérable que ce que la Chine avait produit depuis une date aussi reculée. La production ultérieure dépasse l’imagination par ses dimensions. La philologie moderne n’a pas encore pu inventorier ce qui nous en est parvenu. L’imprimerie n’ayant commencé à prendre de l’importance en Inde qu’au début du XIXe siècle, ce qui est imprimé en sanskrit n’est qu’une fraction de cette littérature. Une grande partie est encore sous forme de manuscrits conservés dans des collections privées ou dans quelques grandes bibliothèques d’Inde et d’Europe. Les manuscrits sont sur papier, sur écorce de bouleau ou d’agalloche, sur feuilles de palmier (Borassus flabelliformis ou Coryphaea umbraculifera ). Le sanskrit est noté dans toutes les écritures régionales de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est. Ces écritures régionales qui notent les langues des diverses régions sont dérivées d’un même prototype appelé br hm 稜 dont la première attestation date du IIIe siècle avant J.-C. Au Tamiln ボu, on trouve une écriture pour le tamoul et une autre, apparentée, appelée grantha , ayant un plus grand nombre de signes pour noter les sons, plus nombreux, du sanskrit. Le sanskrit a été aussi noté en écriture arabe avec quelques signes additionnels. Rappelons que l’écriture, la copie sur manuscrits n’ont pas été le seul moyen de transmission de textes en Inde. La transmission orale a été un moyen fréquent et efficace. Il est vraisemblable que des textes n’ont jamais été écrits. De nos jours encore, il est courant que des pandits récitent des vers, des formules dont ils ne peuvent dire l’origine textuelle et qu’ils ont appris, dans leurs écoles ou de leurs maîtres, de source orale. Il existe un héritage non écrit que les pandits se transmettent de génération en génération.

Les littératures d’enseignement

Tout ce que l’esprit humain a pu concevoir a eu son expression en sanskrit. Il n’est pas possible d’énumérer exhaustivement les diverses disciplines, les divers domaines, les divers genres littéraires sanskrits. On peut distinguer ce qui est technique et didactique et ce qui est belles-lettres pures. Le premier groupe est appelé génériquement ご straenseignement»). Les trois principaux ご stra déjà mentionnés ci-dessus constituent la base de la culture des pandits. Toutes les autres branches de l’activité intellectuelle sont autant de ご stra . Chacun se donne généralement une base dans la littérature védique, réelle ou revendiquée, ou une origine divine, ou une fondation par un sage mythique. L’autorité accordée au texte de fondation fait que beaucoup d’ouvrages ultérieurs dans la discipline sont donnés comme étant des commentaires de ce texte. La littérature de ご stra est en grande partie une littérature de commentaires. Cela n’empêche ni ne freine l’innovation, l’introduction d’idées nouvelles, la découverte scientifique. Des techniques d’exégèse de textes sont suffisamment bien codifiées, et très rationnelles, pour permettre la création. Le genre du commentaire est d’ailleurs assez ouvert pour inclure la critique et la proposition de correction du texte commenté.

La grammaire (vy kara ユa ) a sa base dans le s tra de P ユini qui fait partie du corpus védique. Les commentaires les plus importants sont ceux de K ty yana et de Patañjali, la K ごik -v リtti de V mana et Jay ditya (VIIe s. apr. J.-C.), la Siddh ntakaumud 稜 de Bha oji-D 稜k ルita (XVIIe s.). Un philosophe d’une grande puissance de pensée, Bhart リhari, a sur la base d’idées de Patañjali construit une métaphysique de la parole et une analyse très profonde des structures sémantiques du langage; son œuvre est le V kyapad 稜ya (Ve s.?). Sa pensée a été rénovée par N ge ごa-Bha a dans la Mañj ル connue en deux versions (env. 1700). Il y a plusieurs écoles de grammaire non p ninéennes.

La logique (ny ya ) a comme texte de base le Ny ya-s tra de Gautama (IIIe s. apr. J.-C.?). Il est suivi de commentaires importants par V tsy yana (IVe s.?), qui contiennent une part importante de polémique avec une école de logiciens bouddhistes dont le fondateur est Dign ga (vers 500) et le principal représentant Dharmak 稜rti (VIIe s.). La discipline a été rénovée et vouée particulièrement à l’épistémologie par Ga face="EU Updot" 臘ge ごa dont le Tattvacint ma ユi («Le Talisman des réalités») a été l’objet de nombreux commentaires qui représentent le sommet de la pensée rationnelle en Inde.

L’exégèse (m 稜m ュs ) est basée sur un s tra dû à Jaimini (IIIe s. apr. J.-C.?). Deux écoles se sont formées, fondées par Prabh kara (VIIe s.?) et Kum rila (VIIIe s.?). La m 稜m ュs est particulièrement liée au veda, parce que son objet est l’interprétation des injonctions de rituel consignées dans les versets et les commentaires védiques mêmes (mantra et br hma ユa ). Elle constitue en quelque sorte une jurisprudence et ses méthodes ont pu avoir des applications au droit au cours de l’histoire, même récente.

L’ala ュk ra- ご stra («enseignement des ornements») est une rhétorique et poétique qui a plus d’importance en Inde qu’en Europe. Quelques-uns des plus grands penseurs de l’Inde, Abhinavagupta (vers 1000), N gesa-Bha a n’ont pas dédaigné d’y appliquer leur esprit. Il contient une psychologie littéraire, une théorie esthétique (celle du rasa ), et surtout les fleurs de rhétorique, une analyse fine des jeux et possibilités du langage et de la pensée sur les bases du vy kara ユa et accessoirement du ny ya .

Le ved nta- ご stra est l’étude des upani ルad . Il est appelé aussi m 稜m ュs ultérieure , parce que son objet est l’exégèse de textes qui sont dits être «la fin du veda ». Le texte de base est le Brahma-s tra (IIe s. apr. J.-C.?), placé sous le nom d’un sage mythique, B dar ya ユa. De plus, dix-huit chants extraits du Mah bh rata sont considérés comme étant des upani ルad et appelés Bhagavad-G 稜t («[Upani ルad] chantées par le Seigneur»). La littérature de cette discipline comprend de très nombreux commentaires de ces textes sacralisés. Les commentaires de えa ュkara (VIIIe s.?), de R m nuja (XIIe s.), de Madhva (XIIIe s.)... sont les exposés des plus grands systèmes métaphysiques que l’Inde ait produits.

Le Yoga- ご stra est l’enseignement d’une technique de maîtrise des activités psychiques. C’est donc une psychologie et non une médecine. Le texte de base est le Yoga-s tra placé sous le nom de Patañjali que la tradition indienne identifie avec le grammairien. Le grand commentaire de ce texte est celui de Vy sa. Un développement original de l’enseignement, appelé ha レha-yoga , a sa littérature propre.

Avec l’ yurveda («Savoir sur la longue vie»), on a une médecine scientifique. Les deux textes fondamentaux, Caraka-sa ュhit et Su ごruta-sa ュhit , que la tradition indienne donne comme des compilations d’enseignements de sages anciens, furent édités respectivement par Caraka (IIe s. apr. J.-C.?) et N g rjuna (peut-être son contemporain). La médecine est censée être une partie auxiliaire de l’Atharvaveda . Elle a théoriquement huit parties: chirurgie, ophtalmologie, thérapeutique du corps ou médecine générale, traitement des possessions, puériculture, toxicologie, cure de rajeunissement, préparation des aphrodisiaques. La littérature yurvédique, très abondante, a connu une grande expansion. Des ouvrages célèbres comme ceux de Su ごruta, N g rjuna ou V gbha レa ont été répandus dans toute l’Asie, ont été souvent traduits dans les langues de l’Inde, ainsi qu’en tibétain, en arabe, etc.

L’astronomie scientifique (jyauti ルa- ご stra ) est jointe aux mathématiques (ga ユita- ご stra ) et à l’astrologie. Cette littérature compte un texte faisant partie du corpus védique, le Jyauti ルa-ved face="EU Updot" 臘ga , puis cinq manuels appelés Siddh nta dont un seul nous est parvenu, le S ryasiddh nta (345 apr. J.-C.). Il s’agit d’une science originale créée en Inde, mais qui n’a pas tout ignoré des connaissances astronomiques de l’Occident. Les plus grands noms sont ceux d’ ryabha レa (500 apr. J.-C.), qui a été le premier à formuler l’hypothèse de la rotation de la Terre autour du Soleil, de Var hamihira (VIe s.), de Bh skara II (XIIe s.)... Le Kerala a apporté à cette littérature une contribution particulièrement importante.

L’artha- ご stra est l’enseignement de l’artha , notion qui recouvre tous les intérêts matériels de l’homme; il comprend politique et morale, administration et économie. Le texte le plus célèbre est l’Artha ご stra placé sous le nom de Kau レilya, ministre de Candragupta Maurya (IVe s. av. J.-C.), mais dont la rédaction est sans doute plus tardive (IIIe-IVe s. apr. J.-C.?). C’est une source inestimable pour l’histoire.

La littérature des tantra intéresse la religion. Elle a peu de liens avec le veda . Parfois elle se substitue à lui en se donnant comme une autre révélation. Elle représente les pratiques religieuses qui se sont répandues quelques siècles après l’ère chrétienne, en même temps que se construisaient les premiers temples, et dont beaucoup sont encore vivantes aujourd’hui. Elle se subdivise selon les grands courants de dévotion à えiva, à Vi ルユu ou à la Déesse considérée comme ごaktipuissance») du dieu, vénérée plus que le dieu lui-même. Les trois branches principales sont le えaivasiddh nta shivaïte, les Pañcar tra et Vaikh nasa vichnouites, les mouvements ご kta plus divers. Ces textes ont en principe quatre objets: la doctrine religieuse, le rituel, le comportement et la discipline psychologique. C’est la partie de rituel qui reçoit le développement le plus important.

En même temps que les tantra , s’est formée et développée la littérature des pur ユa («récits antiques»). Les pur ユa se rattachent à l’épopée, imitent les modèles du Mah bh rata , etc., mais ont rarement un récit aussi suivi. Ce sont plutôt des recueils, des compilations de matières mythologiques, épiques, parfois historiques, d’origines diverses. En théorie, un pur ユa a cinq sujets: la création, la re-création cyclique, la généalogie des dieux et des saints, les ères des Manu ou divisions mythiques du temps, l’histoire des dynasties. Ce cadre s’efface souvent pour laisser la place à l’intrusion de mythes, de légendes, de glorifications de lieux sacrés, etc. La tradition met au premier plan dix-huit pur ユa qui se classent en shivaïte et vichnouite. Parmi eux, le Bh gavata-pur ユa (Xe s. apr. J.-C.) se distingue par sa haute valeur intellectuelle et littéraire.

Les belles-lettres

La formation du pandit est nourrie de poésie. Il apprend par cœur les chefs-d’œuvre, retient nombre de vers gnomiques, de beaux exemples, de mots appropriés à toutes circonstances. Le pandit reste marqué par cette formation. S’il ne devient pas pur poète, il l’est toujours quelque peu, quelle que soit sa spécialité. Il n’est pas de discipline, de technique, où l’expression ne soit pas ornée d’une manière ou d’une autre. L’usage généralisé du vers peut s’expliquer par un souci mnémotechnique. L’emploi de mètres difficiles, la digression, la périphrase poétique en mathématiques, en médecine, en architecture, etc., ne répondent qu’au goût de bien dire.

On a souvent parlé du caractère artificiel de la littérature sanskrite. En réalité pour en bien juger il faut considérer que le pandit a pour matériel, pour outil d’expression, non pas un langage ordinaire, mais un langage appris selon une grammaire et dans des moules littéraires incontestés. Cette matière déjà savante et raffinée est pour lui une matière première qui n’est autre que l’ordinaire. Son travail de création littéraire devra se surajouter à elle. La création est un renchérissement sur le raffinement donné, un surpassement de la virtuosité.

Les formes les plus simples de littérature en sanskrit sont le conte, le récit édifiant, certains hymnes dévotionnels. Le Pañcatantra a fait depuis longtemps la gloire de l’Inde. Pour sa propagation, toute religion a besoin de vies de saints, de récits à intention morale ou doctrinale, accessibles à tous les fidèles. Et le sanskrit a été assez vivant et connu pour être utilisé à la prédication. Le genre le plus développé en sanskrit est celui de l’hymne dévotionnel, appelé stotra . La littérature de stotra est immense, à la mesure de la diversité du panthéon indien, de la multiplicité des saints, des lieux sacrés... Si elle se met pour une part à la portée des fidèles les moins instruits, par des hymnes faciles, mais non moins artistes, tels que la Mukundam l de Kula ごekhara (vers 1100?), elle contient aussi des chefs-d’œuvre de raffinement et de science du verbe tels que le えy mal -da ユボaka de Pur ntaka (?), la Pañca ごat 稜 de M ka-kavi (?).

Le théâtre sanskrit fait la fierté de l’Inde par quelques chefs-d’œuvre incontestables, tels que la えakuntal de K l 稜d sa et les pièces de Bhavabh ti. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut considérer non seulement les textes, mais aussi le style de représentation. Le théâtre a toujours été en Inde un spectacle total où le texte, le vers ne sont qu’une part inséparable de la musique, de la mimique, du costume de l’acteur. Cette forme de théâtre a survécu au Kerala dans le style appelé K レiy am . On y voit les acteurs réciter, chanter le texte, l’expliquer en malayalam, phrase par phrase, mot par mot, représenter chaque évocation, chaque événement, chaque idée par la mimique et la danse, de telle sorte qu’un texte d’une ou deux heures de lecture peut servir à un mois entier de représentations quotidiennes durant chaque fois la nuit entière. On possède des documents prouvant que cette pratique de théâtre est ancienne. Ce sont des traités de dramaturgie, dont le plus célèbre est le N レya- ご stra de Bharata (VIe s. apr. J.-C.?). Ils traitent autant de musique, de danse, de mimique, du costume, du maquillage, que de la fabrication de la pièce, de la structure de l’intrigue, de la psychologie des héros, des effets de style, de la métrique, etc.

La poésie sanskrite a ses racines dans les hymnes védiques les plus anciens. Elle doit sa forme classique à l’épopée. Le R m ya ユa est donné traditionnellement comme le premier k vya. K vya («art du kavi ou poète inspiré») désigne la poésie en général et un genre particulier de poème épico-lyrique, divisé en chants, qui sur un thème narratif, mythologique ou historique greffe des descriptions de la nature, de héros, de sentiments, de morale, afin de créer par suggestion un ou plusieurs rasa , saveur esthétique consistant en l’expérience par l’œuvre d’art de sentiments humains profonds, amour, pitié, paix, etc. Le prototype de ce poème est une vie du Bouddha due à A ごvagho ルa (IIe s. de notre ère?). Les k vya les plus achevés, donnés par la tradition des pandits comme des modèles et effectivement les plus imités dans l’histoire, sont le Raghuva ュ ごa («La Lignée des fils du Soleil») et le Kum rasa ュbhava («La Naissance de Kum ra») de K lid sa (IVe s. apr. J.-C.?), le Kir t rjun 稜ya («Le Poème du chasseur et d’Arjuna») de Bh ravi (VIe s.), le えi ごup lavadha («La Mise à mort de えi ごup la») de M gha (vers 700), le Nai ルadh 稜ya («Le Poème de Nala») de えr 稜har ルa (XIIe s.). Le premier caractère du k vya est la virtuosité du langage, le vocabulaire recherché, la syntaxe confiée au composé, les formes verbales rares, les contraintes métriques, les jeux verbaux, les allitérations, etc. Le trait le plus frappant est la surcharge d’ornementation fondée sur les enseignements théoriques de l’ala ュk ra ご stra . La métaphore se poursuit inlassablement: «Fatigué de sa course, le voyageur-jour se couche, prend pour oreiller la montagne du couchant, recroqueville ses membres-les points cardinaux et tire sur lui la couverture-obscurité.» Cela n’exclut pas le charme et l’imagination. Les plus grands poètes ont dans ce style produit quelques-unes des œuvres les plus élevées de l’humanité, ont créé un idéal de beauté et de sérénité qui n’est pas sans faire penser aux plus belles productions de la sculpture indienne.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно сделать НИР?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • PALI (LANGUE ET LITTÉRATURE) — Le p li est la langue des anciennes Écritures du bouddhisme méridional, aujourd’hui encore pratiqué à Sri Lanka et dans les pays occidentaux de la presqu’île indochinoise: Birmanie, Laos, Thaïlande, Cambodge (Kampuchea). C’est une langue… …   Encyclopédie Universelle

  • MALAYALAM (LANGUE ET LITTÉRATURE) — Le malay ヤam, langue officielle du K 勒ra ヤa, est parlé aussi aux îles Laquedives, ainsi que par les minorités malay li du Sud Est asiatique, soit environ 34 millions de locuteurs. Langue dravidienne, elle est si proche du tamoul malgré des… …   Encyclopédie Universelle

  • BENGALI (LITTÉRATURE) — Au VIe siècle avant J. C., les Aryens s’établissent au Bengale; ils y apportent le sanskrit, langue littéraire, et le prakrit, leur langue parlée, qui est l’origine du bengali proprement dit. Le sanskrit ne cessera jamais d’exercer une influence… …   Encyclopédie Universelle

  • GUJARATI (LITTÉRATURE) — Le gujar t 稜 est la langue de l’État fédéral le plus occidental de l’Union indienne, le Gujar t, né en 1960 après sa séparation d’avec le Mah r ルレra, bordé à l’ouest par l’océan Indien et à l’est par les États du R jasth n, du Madhya Prade ご et… …   Encyclopédie Universelle

  • MARATHE (LITTÉRATURE) — Quatrième langue «constitutionnelle» de l’Union indienne avec soixante cinq millions de locuteurs dans les années 1990, le marathe (mahratte, ou mar th 稜 ) est une langue indo aryenne parlée à l’ouest et au centre du pays, c’est à dire dans un… …   Encyclopédie Universelle

  • Liste Des Professeurs Au Collège De France — Cette liste des professeurs au Collège de France recense les titulaires de chaire et les chargés de cours au Collège de France depuis sa fondation en 1530. Chaires Durée Premières créations Catégories Chaires ordinaires sans limitation 1530… …   Wikipédia en Français

  • Liste des professeurs au College de France — Liste des professeurs au Collège de France Cette liste des professeurs au Collège de France recense les titulaires de chaire et les chargés de cours au Collège de France depuis sa fondation en 1530. Chaires Durée Premières créations Catégories… …   Wikipédia en Français

  • Liste des professeurs au Collège de France — Cette liste des professeurs au Collège de France recense les titulaires de chaire et les chargés de cours au Collège de France depuis sa fondation en 1530. Chaires Durée Premières créations Catégories Chaires ordinaires sans limitation 1530… …   Wikipédia en Français

  • Liste des professeurs au collège de france — Cette liste des professeurs au Collège de France recense les titulaires de chaire et les chargés de cours au Collège de France depuis sa fondation en 1530. Chaires Durée Premières créations Catégories Chaires ordinaires sans limitation 1530… …   Wikipédia en Français

  • Professeur au Collège de France — Liste des professeurs au Collège de France Cette liste des professeurs au Collège de France recense les titulaires de chaire et les chargés de cours au Collège de France depuis sa fondation en 1530. Chaires Durée Premières créations Catégories… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”